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Changements environnementaux globaux et faunes associées au Toarcien-Aalénien

La fin du Jurassique inférieur, il y a environ 183 millions d’années, représente une période de changements environnementaux globaux particulièrement marqués, au cours desquels s’éteignent un grand nombre d’organismes marins. Tandis que la réponse des invertébrés marins à cette crise est relativement bien documentée, les changements écologiques au sein des communautés de vertébrés (poissons, requins, reptiles marins) demeurent mal connus. Plusieurs gisements de la fin du Jurassique inférieur ont pourtant livré des restes de vertébrés en abondance, offrant des informations précieuses sur les assemblages de vertébrés de cette période : c’est le cas des ‘Lagerstätten’ du Toarcien inférieur en Allemagne ou en Angleterre. Cependant, ces gisements possèdent une extension verticale et donc temporelle limitée, et ne permettent pas d’appréhender la réponse de ces communautés aux changements climatiques et environnementaux enregistrés à cette époque.

Dans ce contexte, la carrière Lafarge Val d’Azergues à Charnay (Rhône) représente un gisement à potentiel scientifique et patrimonial fondamental. En effet, les séries sédimentaires y enregistrent l’ensemble de la transition Jurassique inférieur-Jurassique moyen, intervalle de temps qui n’est que rarement exposé en France et en Europe. Au-delà de cet intérêt stratigraphique, le gisement de Charnay est également exceptionnel quant à son contenu paléontologique : des restes de vertébrés y ont été récoltés, et ceci dans plusieurs niveaux qui en sont dépourvus partout ailleurs dans le monde (Toarcien moyen, supérieur et Aalénien basal). Le potentiel paléontologique de la carrière Lafarge a été reconnu dès le début de son exploitation au début des années 1980, grâce à l’effort et l’enthousiasme des paléontologues amateurs. Le succès de ces collectes et l’abondance des découvertes a mené à la création d’une association (Géo-Paléo) qui vise à réunir les membres autour d’une thématique commune : la constitution d’une collection de référence.

L'association Paleorhodania a organisé des missions de terrain sur le site de la carrière Lafarge Val d’Azergues de 2009 à 2013. Les dépôts sédimentaires marins du Toarcien et le l'Aalénien (datés de -183 à -175 millions d’années) ont été prospectés, collectés et repérés. Nos missions se sont articulées autour de deux types d’approches, l’une stratigraphique permettant de fixer un cadre géométrique et temporel à la seconde : l’investigation du contenu paléontologique.

À l'heure actuelle, une partie du matériel découvert est dores et déjà valorisé, l'autre est encore à l'étude. Vous trouverez ci-dessous un résumé des activités menées par l'association et les bénévoles au cours des campagnes de fouilles sur la carrière Lafarge.

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2013

En 2012, notre équipe a mis au jour un nodule de grande taille préservant en son sein les restes d’un ichthyosaure datant du Jurassique. Cette découverte a fait le buzz sur la toile et dans divers médias et pour cause, le fossile est semi complet, en connexion anatomique, conservé en 3D avec possiblement des parties molles (organes internes) préservées.   

Nous souhaitions donc essayer de scanner tout ou partie du nodule par rayon X. Scanner ce matériel peut permettre d’obtenir des données rapides sur l’anatomie du spécimen sans passer par une préparation mécanique longue et très couteuse. De plus, une préparation mécanique ‘à l’aveugle’ (c’est-à-dire sans connaitre la position du fossile à l’intérieur du nodule) est dangereuse, notamment pour la conservation des parties molles qui sont parfois difficilement identifiables. Malheureusement, le nodule étant volumineux et lourd, les possibilités matérielles de réaliser un scan étaient limitées. 

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Nous avons donc contacté le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) de Cadarache qui possède le matériel adapté à nos contraintes. En Juin 2013, le nodule contenant les restes fossiles de l’ichtyosaure fut donc transporté au CEA de Cadarache. Sur place, en fonction des disponibilités, les techniciens et ingénieurs vont donc scanner le nodule afin de proposer une reconstruction tridimensionnelle de son précieux contenu sans le détruire. Nous croisons les doigts !

2012

Cette année, notre équipe est constituée d’une vingtaine de personnes : l’équipe dirigeante (Jérémy Martin, Guillaume Suan, Peggy Vincent, Baptiste Suchéras-Marx, Louis Rulleau et Kévin Janneau), aidée de bénévoles étudiants et chercheurs de quatre nationalités différentes (Estonie, Slovaquie, Grande-Bretagne et France).

Avec les soutiens financiers et logistiques du Musée des Confluences et de l’entreprise Lafarge, Paleorhodania a réalisé une nouvelle campagne de fouilles paléontologiques du 02 au 14 juillet 2012.

Cette campagne a été couronnée de succès avec la découverte de nombreux fossiles de végétaux, d'invertébrés et de vertébrés. Les fossiles découverts se trouvent parfois dans des roches tendres telles les argiles et sont donc facile à extraire de leur gangue. C’est le cas des oursins et végétaux trouvés cette année. Pour d’autres, le travail est extrêmement physique ! C’est le cas des nodules trouvés sur la carrière.

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En effet, ces concrétions calcaires extrêmement indurées sont très massives et peuvent peser plusieurs centaines de kilos. Ces nodules sont néanmoins connus pour receler des fossiles préservés en trois dimensions (Figure 1). Parmi les nodules mis à jour, un nodule de taille imposante (>1 m de diamètre ; Figure 2) a livré la découverte la plus significative de cette campagne 2012.

Figure 1 : Exemple de nodule carbonaté épousant la forme de son nucleus, ici constitué par une ammonite. Zone à serpentinum (toarcien inférieur).

La fracturation mécanique de ce gros nodule a révélé une série de vertèbres en connexion présentant une excellente qualité de préservation et dont la forme très ramassée est typique des Ichthyosauria (Figure 3). Ces vertèbres sont associées à une série de côtes ventrales et dorsales visibles en section et arrangées de manière subcirculaire, au centre desquelles une coloration violacée est visible (Figure 4). Les blocs associés au même nodule présentent également une série d’éléments vertébraux parfaitement articulés (Figure 5).

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Figure 2 : Kristjan (à gauche) et Martin (à droite) posant devant leur découverte.

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Figure 3 : Fragment du nodule de grande taille provenant de la zone à serpentinum exposant une série de vertèbres (flèches) et côtes en connexion anatomique.

Figure 4 : Fragment du nodule de grande taille provenant de la zone à serpentinum exposant une partie de la cage thoracique en coupe. Noter la disposition subcirculaire des côtes ventrales et dorsales (flèches).

Figure 5 : Bloc associé au nodule de grande taille de la zone à serpentinum exposant une série d'apophyses vertébrales en connexion anatomique.

Le nettoyage minutieux sur le terrain de la surface du plus grand bloc a ensuite permis de révéler l’extrémité antérieure du crâne (rostre), aligné dans l’axe des vertèbres (Figure 6A) ainsi qu’une partie de palette natatoire (Figure 6C). La coupe naturelle de l’extrémité du rostre montre que celui-ci est préservé en occlusion dentaire, les dents de la mâchoire supérieure s’insérant dans celle de la mâchoire inférieure (Figure 6B). L’état de préservation des éléments crâniens et post-crâniens (côtes, phalanges) ainsi que leur configuration et leur alignement indiquent un déplacement post-mortem extrêmement limité. De plus, la disposition subcirculaire des côtes signifie que le spécimen n’a pas été aplati et conserve les proportions de l’animal en trois dimensions, a contrario de la très grande majorité des spécimens d’ichtyosaures connus à travers le monde.

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Figure 6 : A: Vue d'ensemble du nodule de grande taille provenant de la zone à serpentinum; B: extrémité du rostre montrant les dents en coupe (flèches) préservées en occlusion; C: Palette natatoire; D: Série de vertèbres en connexion anatomique formant le bord du nodule.

L’heureux propriétaire de cet ichtyosaure sera le Musée des Confluences de Lyon, qui finance ces travaux de terrains depuis 2009. Cette découverte exceptionnelle n’a pas encore livré tous ses secrets. En effet, plusieurs mois de travaux vont maintenant être nécessaires à la préparation du spécimen d’ichtyosaure. C’est un travail qui devra être effectué par un professionnel afin de ne pas endommager les os et les possibles traces de parties molles exceptionnellement préservées ! L’étude scientifique, qui ne pourra donc commencer qu’après ce travail, permettra de mieux caractériser la paléobiologie et la paléoécologie de ces animaux en réponse aux changements climatiques qui ont affecté cet intervalle-clé du Jurassique.

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2011

La campagne de fouilles 2011 s'est déroulée du 10 au 22 Juillet. L'équipe Paléorhodania a réuni cette année une vingtaine de fouilleurs bénévoles, ainsi que les fidèles membres de la section GéoPaléo. Un décapage préliminaire de la surface de fouilles a été réalisé avec le concours de l’entreprise Lafarge et a permis l’affleurement d’une surface de fouilles dépassant 200m².

La découverte et l’étude de spécimens d’invertébrés à plusieurs intervalles clés (par ex. zone à tenuicostatum, sous-zone à falciferum, zone à variabilis) complète le cadre bio-chrono-stratigraphique de la succession de manière significative. Ces découvertes montrent que toutes les zones à ammonites du Toarcien sont représentées dans la carrière, faisant du site l’un des gisements du Toarcien les plus complets connus en France et en Europe.

Des restes de vertébrés particulièrement intéressants d’un point de vue de leur position stratigraphique ont été découverts cette année dans les niveaux du Toarcien inférieur (zone à tenuicostatum) et dans ceux de l’Aalénien. Ces nouvelles pièces, bien que principalement constituées de restes isolés, compléteront notre compréhension de l’évolution des faunes au cours de la transition entre le Jurassique inférieur et moyen. La découverte de nombreux restes bien préservés dans les niveaux aaléniens, qui livrent habituellement très peu de vertébrés, laissent envisager leur fouille systématique lors de prochaines campagnes. L’investigation de grandes surfaces d’excavation de la moitié supérieure de la zone à serpentinum n’a pas permis la découverte de macro-restes de vertébrés cette année, mais a cependant fournit de nombreuses bélemnites et ammonites précieuses pour les études géochimiques et biostratigraphiques. Un résultat particulièrement intéressant de cette campagne est la datation précise de l’intervalle présentant de nombreux nodules de grande taille de la toute base de la série étudiée (zone à serpentinum). Ces datations indiquent en effet que ces derniers sont les équivalents latéraux des nodules livrant une faune de vertébrés extrêmement abondante et bien préservée dans les gisements contemporains. En outre, les prospections de surface ont confirmé l’extrême richesse du niveau BB1, très probablement liée au fait que ce niveau représente la plus grande surface stratigraphique exposée dans la carrière. Dans ce contexte, il apparaît donc tout à fait souhaitable de poursuivre et d’étendre notre stratégie d’investigation de très grandes surfaces aux niveaux les plus inférieurs de la carrière.

Les nouvelles descriptions et prélèvements sédimentologiques permettront d’étudier à haute résolution les relations entre températures marines, événements de tempêtes et niveau marin lors de l’intervalle de changement climatique de la base du Toarcien inférieur. Les variations des paramètres physiques de l’environnement seront également étudiées en détail pour l’intervalle du Toarcien moyen grâce aux prélèvements de nombreuses bélemnites. Les nouvelles observations faites cette année confirment que le site présente une succession originale à plusieurs égards : les schistes cartons et des calcaires de la zone à serpentinum présentent une altération différentielle très spectaculaire qui n’avait pas été documentée ailleurs jusqu’alors ; toutes les zones à ammonites du Toarcien sont représentées, suggérant que la sédimentation fut relativement continue malgré le faible taux d’accumulation caractérisant la série; le Toarcien inférieur enregistre des dépôts de tempêtes particulièrement épais qui ne sont pas connus dans les sites voisins plus distaux. Ces deux dernières caractéristiques rendent le site particulièrement propice pour étudier la réponse des milieux marins peu profonds aux perturbations environnementales de la transition Jurassique inférieur-moyen. De plus, ces conditions de dépôt singulières sont particulièrement favorables à la concentration et à l’enfouissement rapide de restes d’organismes articulés, et encouragent à poursuivre les efforts de nos recherches paléontologiques.

2010

Cette mission 2010 a confirmé le potentiel du site et la présence de vertébrés à plusieurs niveaux. Les niveaux du Toarcien inférieur ont livré cette année des restes crâniens d’ichtyosaure appartenant vraisemblablement à un unique spécimen. Ces restes doivent bénéficier d’un dégagement précis pour être étudiés en détail. La bonne préservation du spécimen ainsi que le mode de dépôt du sédiment encaissant (tempestite) laissent entrevoir un fort potentiel de ces niveaux pour les futures campagnes. La mise au jour de restes crâniens et post-crâniens de crocodiliens marins dans les marnes de la base de la zone à bifrons confirme la présence de ce groupe dans les niveaux du Toarcien moyen.

La découverte et l’étude de spécimens d’invertébrés à plusieurs intervalles clés (par ex. base de l’Aalénien) a permis de faire progresser le cadre bio-chrono-stratigraphique de la succession de manière significative.  Ce cadre sera indispensable pour les futures reconstitutions paléo-environnementales. Le nombre relativement faible de découvertes en comparaison des fouilles de 2009 s’explique en partie par les différentes approches méthodologiques employées lors des deux campagnes, ainsi que par la nature des niveaux explorés : la campagne prospective de 2009 a été menée sur un plus grand nombre de niveaux, dont les niveaux de « bonebeds ».

Ces niveaux correspondent à des dépôts formés par concentration et ont livré en conséquence un grand nombre de restes isolés (principalement des dents). Néanmoins, les spécimens découverts cette année sont particulièrement intéressants du point de vue de la paléodiversité. En effet, des taxons dont la présence n’était pas attestée sur le site ou dans certains niveaux en 2009 ont été mis au jour cette année. Ces découvertes permettront de mieux comprendre l’évolution de la diversité des faunes de reptiles marins à la fin du Jurassique inférieur.

L’étude par J.E. Martin, V. Fischer et P. Vincent des restes d’ichtyosaure des collections de Pierres Folles et du Musée de la Mine doit déboucher prochainement sur deux publications.

2009

Le but premier de cette mission était prospectif : repérer les niveaux scientifiquement intéressants dans les dépôts Toarcien de la carrière Lafarge à Belmont.

Cette mission de reconnaissance était axée sur 2 types d’approche, l’une stratigraphique, permettant de fixer un cadre géométrique et temporel à la seconde : l’investigation du contenu paléontologique.

La mission paléontologique, coordonnée par J. Martin, A. Lena et P. Vincent, avait pour but la récolte de nouvelles données, essentiellement sur les faunes de vertébrés du Toarcien. La question sous-jacente était de savoir si des fouilles prospectives de courte durée réalisées par une équipe de fouilleur réduite seraient fructueuses. Il apparaissait également nécessaire de cibler les niveaux riches en restes de vertébrés et d’établir une compilation préliminaire des vertébrés collectés dans ces niveaux. Ces données pourront être comparées aux listes fauniques déjà établies en Allemagne et en Angleterre pour le Toarcien.

L’étude stratigraphique, coordonnée par G. Suan et B. Suchéras-Marx, a été centrée sur le Toarcien inférieur et moyen dans le but de détailler la stratigraphie du site. Les contextes sédimentaires du Toarcien inférieur et du Pliensbachien sont, encore aujourd’hui, largement énigmatiques. La mission avait aussi pour but de mettre au jour la limite Pliensbachien/Toarcien qui n’affleure pas naturellement dans la carrière afin de pouvoir identifier les changements dans les milieux de dépôts tout le long du Toarcien. Cette approche s’intègre dans les études, actuellement très nombreuses, des conditions de dépôt de l’événement anoxique océanique du Toarcien inférieur.

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